Manifeste pour le droit des bras à se lire et à se raconter sans un mot

Nous affirmons que le langage ne se limite pas aux mots, que les corps ont une mémoire et une parole, que les bras savent dire et accueillir ce que les voix taisent.

Nous prétendons que la présence de nos corps réconforte, que les mains savent lire les lignes invisibles du monde, que les regards tissent des ponts entre les âmes, que les sourires soutiennent les cœurs, que les gestes ouvrent des chemins.

Nous défendons le droit au contact qui répare, qui apaise, qui nous libère de la froideur, de la rigidité, de la peur et de la séparation.

Dans un monde où la distanciation est devenue la norme, où le toucher est perçu comme suspect ou menaçant, nous revendiquons l’espace du lien, celui qui se tisse dans un simple effleurement, dans une étreinte, dans un mouvement du corps, dans un geste qui reconnaît l’autre sans chercher à le posséder.

Mais nous savons aussi que le toucher peut être une intrusion, le contact une violence. Nos corps sont des territoires sacrés, l’intimité de chacun un espace à respecter. Aussi, nous défendons un droit au lien autant qu’un droit à la distance.

Nous croyons que les bras racontent des histoires :

  • Les histoires des corps fatigués, qui n’osent plus demander de la chaleur mais en ont besoin pour ne pas se figer.

  • Les histoires des identités abîmées, qui retrouvent, dans une main posée sur une épaule, la reconnaissance d’une présence aimante.

  • Les histoires de la tendresse tissée en résistance, contre les mécaniques d’isolement et de méfiance qui nous fragmentent.

Nous affirmons que :

  • Le toucher est un langage, une manière d’habiter le monde autrement, de réintroduire la confiance dans les relations humaines, d’inventer de nouvelles manières d’être ensemble.

  • Le sensible ne passe pas seulement par les bras et les mains tendues, mais aussi par le regard, le sourire, une présence, un silence. Nous avons mille et une façons de nous reconnaître et de nous relier, mille et une manières de signifier à l’autre qu’il existe, qu’il est vu, qu’il est accueilli, qu’il est aimé.

  • Le toucher est un choix, jamais une contrainte. Ce qui réconforte les uns peut oppresser les autres. Ce qui soigne ici peut blesser ailleurs. Chaque geste reconnaît les frontières de chacun et manifeste notre respect.

Nous revendiquons le droit :

  • De ne pas être seuls dans nos peaux. Nous ne sommes pas faits pour vivre dans des bulles étanches, pour ne jamais frissonner sous l’effet d’une main amie ou d’un bras qui nous enlace.

  • D’être bercés, pris par la main et par le cœur. Nos enfants intérieurs réclament des bras qui portent, des gestes qui réchauffent, des caresses qui soignent ce que l’indifférence a blessé.

  • D’être en résonance avec les autres. Nous ne vivons pleinement qu’en vibrant au contact du monde, quand ce que nous touchons nous touche en retour et nous transforme.

Nous refusons :

  • La réduction du lien au seul verbal, alors que le sensible, le tactile et le silence sont autant de manières de créer du sens et d’apporter du soin.

  • L’asphyxie émotionnelle, imposée par une culture où la sensorialité se dégrade, où le contrôle et la distanciation étouffent.

  • La peur du corps de l’autre, nourrie par des systèmes qui opposent plutôt que de relier.

  • La sécheresse des existences cloisonnées, irriguée par une société qui brutalise le sensible, qui ne sait plus toucher et qui est en train de s’effondrer sur elle-même.

  • La négligence de nos vulnérabilités dans nos relations quotidiennes, nos institutions, nos manières d’être ensemble. Nous avons tous besoin, à un moment ou un autre, d’un bras qui nous relève, d’une main qui apaise, d’une épaule contre laquelle reposer nos fatigues.

  • L’injonction au contact. L’excès de proximité, tout comme l’excès de distance, peut être une forme de domination.

  • L’appropriation des corps sous prétexte de bienveillance. Personne ne devrait être contraint d’accepter une main posée sur son épaule, une étreinte qui ne fait pas sens, un contact qui n’est pas désiré.

  • La marchandisation du sensible. La tendresse ne peut être un produit de luxe, le soin une prestation tarifée.

Nous appelons à une “politique du sensible”, où chacun a le droit d’être touché ou non, regardé avec douceur et non avec insistance, reconnu sans être envahi. Nous militons pour réhabiliter les gestes qui soutiennent, les présences qui rassurent, les bras qui offrent un espace où être pleinement soi.

Dans nos contextes de travail, nous plaidons pour des relations qui tiennent compte des langages du corps, des dynamiques du regard, des signes silencieux qui disent l’état d’un être. Nous défendons un leadership incarné, témoignant que l’humain ne peut être réduit à une fonction ou un rendement. Nous défendons une présence qui écoute, qui perçoit, qui sait que le simple fait d’être là, pleinement, peut déjà être une forme de soin.

Nous voulons des écoles où l’on apprend aussi avec le corps, des hôpitaux où l’on soigne avec la voix et la main autant qu’avec la technique, des maisons de retraite où l’on continue d’exister dans la chaleur de l’autre.

Face aux institutions grises et bureaucratiques, nous luttons contre l’indifférence, l'esseulement et le repli sur soi. Nous affirmons que les bras savent dire “Je t’aime” ou plus simplement “Je suis là” et “Je suis là pour toi”.

Dans nos vies quotidiennes, nous voulons des espaces où il est possible d’être touché sans être colonisé, regardé sans être scruté, aimé sans être possédé. Nous voulons réapprendre l’art de la rencontre, comme un feu qui éclaire et réchauffe, comme une étreinte offerte à ce qui tremble en nous. Nous avons besoin d’autres manières de nous lire et de nous raconter, dans des caresses ou des regards qui réparent, dans des liens et des sourires qui redonnent aux identités leur droit à la douceur.

Nous affirmons que l’humanité ne peut pas se vivre en apnée, coupée de tout contact, mais qu’elle ne peut pas non plus s’imposer dans l’espace de l’autre sans une invitation.

Que ce droit à la chaleur et à la distance, à l’expression des sens et au langage de nos corps, à la rencontre et à l’amour inconditionnel soit reconnu, célébré et protégé.

D’après mes partages entre pairs, le plaidoyer pour une politique du sensible de Paul Klotz dans Le 1 hebdo, 29 janvier 2025, le concept de résonance d’Hartmut Rosa, les travaux de Kristin Neff sur l'auto-compassion, les chansons et textes d'Yves Duteil "Prendre un enfant par la main" et les Cowboys fringants "Sur mon épaule", The lemonheads "Into your arms". 

Photo de Nina Hill sur Unsplash.